De la biomasse pour remplacer le charbon

Remplacer le charbon par de la biomasse comme combustible? Voilà qui pourrait être bientôt réalité grâce au développement d’une technologie permettant de transformer de la biomasse en biocharbon. Au Québec, ce procédé novateur a été développé par Airex Énergie qui a ouvert la toute première usine de démonstration au Canada en décembre 2015 à Bécancour.
 Le biocharbon est fabriqué par la torréfaction de la biomasse. En résumé, on chauffe des résidus (forestiers, agricoles, etc.) à haute température dans un réacteur. Il en ressort un produit sec, friable, facile à broyer qui a une densité énergétique élevée. «Le biocharbon a toutes les caractéristiques du charbon traditionnel. On ne peut pas, par exemple, prendre de la biomasse et l’envoyer directement dans la chaudière d’une centrale thermique au charbon puisqu’elle n’est pas conçue pour ça. C’est tout le contraire de notre produit qui peut remplacer directement le charbon sans modifier les équipements», explique SYLVAIN BERTRAND, directeur général d’Airex Énergie. Il aura fallu six ans de recherche pour que la compagnie peaufine cette technologie. Il n’existe d’ailleurs que sept ou huit usines dans le monde. «Les premiers développements remontent à 2006-2007 en Europe. La technologie s’est avérée plus compliquée à développer. Il aura fallu tout ce temps pour avoir des usines de démonstration et commercialisables», fait savoir M. Bertrand. Dans leur cas, la demande fut placée par des clients de leur société mère, Airex Industries. À l’époque, l’entreprise avait lancé un premier four pour torréfier du bois. «Ce n’est pas la même application. Il s’agissait de bois de parement utilisé en remplacement de bois traité chimiquement. Lorsque des clients ont vu ça, ils nous ont demandé si l’on pouvait aller vers un taux de carbonisation supérieur pour créer un combustible en remplacement du charbon», raconte-t-il. Ils ont développé et breveté le CarbonFX, un réacteur à lit cyclonique qui produit du biocharbon. Le procédé a donc été conçu à l’intérieur d’Airex Industries de 2010 à 2014 avant de fonder Airex Énergie, dont la mission est de commercialiser la technologie CarbonFX.

Étapes

Sylvain Bertrand mentionne que le projet a été déployé par étape. En 2010, ils ont commencé avec un prototype qui produisait 25 kg/heure, puis ils ont conçu une unité pilote de 250 kg/heure en 2013 à Laval aujourd’hui déménagée au CTRI à Rouyn-Noranda. Enfin, l’usine de démonstration de 13 000 pieds carrés, basée à Bécancour, possède une capacité de deux tonnes/heure. Chaque fois, ils ont fait une mise à l’échelle de 10 fois la capacité. «C’est grâce à l’unité de 250 kg/heure qu’on a pu développer l’unité de deux tonnes à l’heure parce qu’on a opéré la première durant trois ans. On a pu ainsi apprendre, corriger, améliorer le système avant de passer à l’étape subséquente», note-t-il. L’apprentissage se poursuit avec l’usine de démonstration. «Ça va bien même si l’on a eu quelques problèmes au démarrage. Le CarbonFX n’est qu’un équipement parmi d’autres à l’usine. Il a fallu s’ajuster avec les convoyeurs, le broyeur et les silos en plus de voir à l’automatisation de l’usine. Aussi, nous avons dû apprendre à faire des granules, c’est-à-dire à densifier le biocharbon, ce que nous ne faisions pas à Laval», indique-t-il. La densification du biocharbon en granules est nécessaire notamment pour réduire les coûts de transport. Le directeur général ajoute qu’il leur faudra entre 12 et 18 mois de mise en route de l’usine avant d’optimiser la performance et fonctionner dans un mode de 24h/24h, 7 jours sur 7. Présentement, ils sont en opération quatre jours par semaine, 10 heures par jour. Airex Énergie utilise de la biomasse forestière pour son projet. La compagnie achète de la sciure et du bois de recyclage. «La taille de notre usine est relativement petite ce qui ne cause pas de problème pour l’approvisionnement en biomasse. À terme, on peut produire 15 000 tonnes de granules de biocharbon ou 30 000 tonnes par année de granules non torréfiées», souligne-t-il.

Applications

Outre le remplacement du charbon, les applications pour le biocharbon sont multiples. Selon le taux de carbonisation choisi, on peut produire autre chose qu’un combustible. «Ça peut être une source de carbone qui est utilisée dans différents types de procédés. Ça peut être utilisé dans des procédés métallurgiques en remplacement de coke de pétrole ou dans des matériaux plastiques. Il devient alors un biocomposite», énumère Sylvain Bertrand. Une autre possibilité serait pour le traitement des sols. Le biocharbon est un produit en émergence qui aide à amender les sols et à traiter des terrains contaminés. Les avenues sont multiples. Airex Énergie collabore à 10 projets de recherche pour trouver des applications pour le biocharbon. M. Bertrand sent beaucoup d’intérêt pour leur produit. Plusieurs provinces et États américains ont voté des législations pour bannir le charbon. Le biocharbon représente donc une alternative propre et peu coûteuse. Leurs clients potentiels sont surtout aux États-Unis. Ils répondent à des appels de proposition pour faire des tests dans des centrales thermiques au charbon américaines. Au Québec, il y a moins de possibilités. Seules les cimenteries et quelques usines métallurgiques utilisent le charbon. Reste qu’il y a d’autres étapes à franchir avant d’approvisionner une centrale thermique. Ils discutent d’ailleurs avec une centrale thermique sur la côte ouest américaine. Celle-ci brûle chaque jour 8 000 tonnes de charbon qu’il faudrait remplacer par 8 000 tonnes de biocharbon. «Pour nous, ça représente six mois de travail et eux consomment l’équivalent en une journée!», informe-t-il.

Prochaines étapes

Airex Énergie poursuivra la mise en route encore six mois avant de passer en mode 24h/24, 7 jours sur 7. L’objectif par la suite est de commercialiser la technologie CarbonFX. «On a déjà commencé à soumissionner sur des projets au Canada et aux États-Unis. Les clients de cette technologie-là sont les usines de sciage qui génèrent des résidus et qui doivent trouver des débouchés. On cherche des entreprises qui souhaitent essayer ou implanter un CarbonFX dans leurs opérations. Ainsi, il pourrait vendre du biocharbon», avance M. Bertrand. La technologie pourrait être achetée et employée ailleurs dans le monde comme en Indonésie pour les résidus de l’huile de palme ou le Midwest américain pour le maïs. «Toutes les matières organiques peuvent être torréfiées et transformées en combustible», soulignet-il. Le directeur général veut également faire croitre l’usine de Bécancour afin de desservir le marché nord-est du Canada et des États-Unis.

Guy Veilleux, Vice-président ingénierie, Serge Turcotte, opérateur, Pier-Alexandre Hould, opérateur, Philippe Lavoie, mécanicien, Éric Landry, directeur d’usine

Source : Marie-Claude BoileauLe Monde Forestier.  «De la biomasse pour remplacer le charbon»,  Le Monde Forestier, Mai-Juin 2016, p. 12-13-14